Il n'y a pas que le sport, ou le vu du ciel qui vaut de beaux ouvrages aux habitants des Pyrénées-Orientales. Il y a aussi le grenat, le chocolat...et la peinture. Dans ce dernier secteur, ils ne sont pas très nombreux, ou ne versent que dans le catalogue d'exposition individuelle. Souvent signés par des plumes aux compétences historiques, scientifiques ou littéraires incontestables mais qui peuvent, par trop d'érudition ou de préciosité, laisser les lecteurs sur leur faim légitime de savoir plus, de connaître mieux, d'aimer davantage. Il est ainsi de beaux ouvrages, élégants, bien peignés, proprets sur eux, mais que l'on traverse au galop. Il en est quelques uns, très rares, que l'on prend plaisir à retenir et avec lesquels on s'attarde durablement parce qu'ils nous émerveillent et nous questionnent à la fois,parce que leur auteur n'est pas un simple faiseur de bouquin ou de produit de luxe, mais quelqu'un de curieux, d'inquiet par le mystère de la création artistique. Mystère qui n'est pas seulement celui de l'oeuvre mais le mystère de l'artiste, du peintre dans son atelier, au travail ou dans un regard distancié au travail, dans un environnement vide, ou encombré de tableaux, de châssis, de palettes. L'atelier est le lieu de vie du peintre ou du sculpteur. La galerie, le musée, le centre d'art contemporain ne sont que des après, des lendemains, de l'histoire. L'art précède toujours son histoire. Pour nous faire ressentir ces moments d'art, il faut être soi-même créateur, c'est-à-dire pouvoir se tenir sinon tout à fait à l'extérieur de l'histoire, sur l'un de ses marges, ou sur l'un de ses sentiers qui y convergent. Jacques Lahousse, homme de plume et photographe, nous propose un superbe livre de moments de création picturale, dans la proximité presqu' impudique (n'était la tendresse du regard avec lesquels il les cueille) avec 10 Peintres en Roussillon. S'il existe une vie artistique réelle et pas seulement rêvée, ce livre en témoigne éloquemment à travers un échantillon représentatif sinon exhaustif (peine perdue) d'artistes du Roussillon ou "travaillant" en Roussillon. Si l'échantillon peut paraître arbitraire, la visée est juste, en critères de singularité, de diversité, de recherche de qualité (l'excellence dans le registre de l'art étant un gros mot). Le cercle de ces 10 artistes s'appelle le professionnalisme. La porte des ateliers s'est ouverte sur un vrai désir d'approcher et connaître et sur une poussée d'amitié, de sympathie, d'émotion devant des formes, des couleurs, des bonheurs autant que des difficultés à faire. Bien sûr, il a aussi de la surprise, de la déférence, de l'admiration et cette volonté de ne jamais voler la "royauté de l'artiste" qu'il soit humble dans son labeur ou en majesté pour la galerie (le lecteur de journal ou magazine) mais de tendre par un cadrage, un gros ou demi plan, un éclairage, une plongée, une contre-plongée...vers cette royauté de l'artiste que, à son tour,  mérite amplement Jacques Lahousse. Dix peintres rassemblés sous le titre global de "Traces tangibles". Georges Badin, Roger Cosme Estève, Serge Fauchier, Jean Capdeville, Zeyno Arcan, Patrick Loste, Marc Fourquet, Jean-Louis Vila, Balbino Giner et Jacques Capdeville. Deux d'entre eux (Jean Capdeville et Balbino Giner) aujourd'hui sont décédés, ce qui indique que le travail de Lahousse s'est étalé dans le temps, que la question du regard photographique "porté sur" le peintre peignant, expliquant, fumant ou "paradant" a fortement mobilisé, objectifs et processus. Rien de people, du direct sans componction. Des noms connus localement, certains bénéficiant d'une projection extérieure, nationale voire internationale. La présence de Zeyno Arcan empêche la "sélection" des 10, d'être qualifiée de... masculiniste. La présence de deux Capdeville ne signifiant nullement un marquage familial, mais la saisie de deux générations. Ce n'est pas un "dictionnaire" que nous propose l'auteur, mais un recueil de reportages (ce mot reportages ayant tout son sens chez Lahousse qui fut journaliste graphique et littéraire au quotidien L'Indépendant) ce n'est pas un "album" à simplement feuilleter qu'a architecturé l'auteur, mais un recueil d'instantanés de monographies artistiques in situ, dans le sanctuaire même du faire: l'atelier, ce second et peut-être véritable foyer du peintre. Il y a ainsi dans ces "Traces tangibles" du texte (synthétique, informé, brillant, la plume est leste et colorée) un chapitre par artiste, témoignant de son caractère humain et de son style d'écriture plastique -à un temps T faudrait-il préciser comme les sondeurs d'opinions. "Il n'y a jamais de conclusion" (G.B.); "Ah!Que ce serait bien d'avoir quelques certitudes" (R-C. E.); "Laisser paraître ce qui n'est pas prévu" (S.F.), "Ce n'est plus mon affaire" (Jean C.), "Je n'ai plus d'illusions du tout...et ça fait beaucoup de bien" (Z.A.), "Oublier ce que je sais faire" (P. L.), "Un des rares endroits où je suis satisfait de moi-même" (M. Fourquet), "Reservado el derecho de admission" (J-L. Vila), "Une expression suspendue au temps d'une respiration", "Retrouver des choses très simples à travers la peinture" (Jacques C.). Au coeur d'une action et d'une maturité, avec un brin de théâtralité et d'humour (les chaussures de Serge fixées et propulsées dans la postérité)  Et, naturellement, il y aussi d'abondantes photographies, formidable spectacle en plus de 250 vues, toutes en couleur et souvent imprimées en pleine page dans un livre au format à l'italienne, en papier glacé. Remarquable travail: photographier un tableau et le reproduire sur un support papier sont toujours un pénible défi, ici remporté sans une seule anicroche. Régal pour l'oeil et la main. Livre intelligent et sensible, né du plaisir, au service de la reconnaissance et du prestige. Il faut du bien à tout un département. Livre paru au printemps dernier chez Alter ego éditions (Céret) avec un avant-propos de Joël Mettay, éditeur, président de l'association des Amis du Musée d'Art Moderne et contemporain de Céret. Bravo à l'auteur et à l'éditeur.

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